Ma photo esport préférée

L’entrée du joueur Martin “Rekkles“ Larsson lors de la Karmine Corp Xperience 2 qui a eu lieu à l’Accor Arena à Paris, le 21 Juin 2022 dernier

Je prends des photos dans le milieu esport depuis une quinzaine d’années. J’ai photographié des joueurs qui sont devenus plus tard des acteurs majeurs de cette version électronique du “sport”, dont la particularité est qu’elle utilise comme support, comme terrain de jeu, des jeux vidéo justement. J’ai vu passer devant mon objectif des stars, des inconnus, des champions en devenir, des équipes entières dignes des plus grand clubs de foot. J’ai eu la chance toutes ces années de pouvoir observer et immortaliser ces joueurs talentueux en pleines games, devant le public, dans les coulisses pendant les échauffements, à quelques cm de leurs visages & souris/clavier en plein feu de l’action, un pied sur l’escalier de la scène avant de passer sous les projecteurs, derrière les barrières de fans signant des autographes … quand on voit combien les supporters sont transcendés par ces humains dotés de “skills” supérieurs à la moyenne, on sait à quel point on a de la “chance” d’être aux côtés de ces talents. Nombreux donneraient énormément pour pouvoir être à nos places, nous le staff photo des events ou des équipes.

J’en ai pris des clichés, dans tous les angles, toutes les conditions de lumières, d’euphorie, de joie et de tristesse. J’en ai vu passer des émotions, des pleurs, des cris, des explosions de bonheur. Mais ce soir là, le soir de la KCX2, l’event organisé par la Karmine Corp, c’était différent. 12 000 persones, non, 12 000 fans de l’équipe, étaient présents pour supporter leur équipe. 12 000 supporters de la même équipe. Je n’avais jamais vu ça. Jamais vécu ça. Je ne m’étais jamais retrouvé au milieu de ça. Et je vous assure que lorsque l’ambiance monte et atteint son climax, son apex, c’est : incroyable. Une telle énergie, concentrée et dédiée à une seule cause, une seule team, une seule équipe, ça ne laisse pas indifférent.

Cette photo, je savais que j’allais la prendre, mais je ne savais pas comment. Je ne savais même pas si j’allais même juste réussir à la prendre. L’entrée de Rekkles. Ce dieu vivant de League of Legends. Une sorte de divinité. Une personne qui fait tourner toutes les têtes quand elle est présente. Ses cheveux blonds platine, son regard déterminé et doux à la fois, ses tatouages massifs, ses boucles d’oreille. Il pourrait être un personnage du jeu auquel il excelle … sauf que. Sauf que les conditions de lumières étaient terribles. Une salle plongée dans le noir. Des spots blancs éblouissants qui flashaient les vedettes à intervalles irréguliers. Un contraste entre les visages et le reste à son maximum. J’ai laissé tomber le mode mitraillage. J’ai préféré viser juste. J’ai préféré faire quelques clichés “réflexes”, quand je voyais les spots flasher, et prier pour qu’un tape dans le mille … sauf que. Sauf que la foule s’est montrée pressante. Survoltée. On est bousculés de tous les côtés. Tout le monde veut sa photo. Tout le monde veut être en face de Rekkles. Tout le monde sort son smartphone dans l’allée, quitte à le faire tomber. La sécurité protège l’allée comme elle peut. Tant pis. L’occasion est unique. Le moment est unique. Tout le monde se jette à l’eau. Je suis littéralement recouvert de bras tendus avec un smartphone filmant l’entrée du joueur. Je ne perds pas espoir je vise droit devant, dans le point de fuite des perspectives. J’aperçois son visage. Clic. Clic. Clic. Je vérifie l’écran en quelques secondes. 2, pas plus. Clic. Clic. Encore. Pas les bonnes. Pas la bonne. Clic. Clic. Clic. Je vois passer l’aperçu du dernier cliché sur l’écran. Je sais que j’ai ma photo. Les lumières deviennent ingérables et Rekkles se trouve désormais trop près de moi pour faire un autre bon cliché. Je profite un peu de l’instant, vivre cette entrée unique, et je tourne la tête pour photographier le joueur suivant.

Une fois assis devant mon ordinateur, je regardais cette photo, brute de traitement, affichée en grand sur mon écran, prête à être éditée. Je savais que c’était une de mes meilleures photo esport jamais photographiée. Elle représente tellement de choses pour moi. Entre le fait que oui, des millions de joueurs peuvent s’assoir devant un écran et regarder d’autres personnes jouer, sans jouer. Que oui, des millions de spectateurs peuvent supporter des joueurs de jeu vidéo comme si c’était une finale de coupe du monde de foot. Que oui, un joueur, une personne, peut représenter plus que tout ça à elle seule, et créer des émotions qu’on aurait même pas imaginer il y a 20 ans. Cette photo, avec tous ces bras qui cherchent on ne sait quoi, le contact, l’image, la photo, le bout de vidéo, toucher le maillot, effleurer l’élu, tous dirigés vers une seule et même personne, beau comme une de ces figures des arts anciens, beau comme un dieu. Cette photo, elle me fait penser à un tableau, mais d’un art nouveau. L’art de l’esport. C’est pour ça que c’est ma photo esport préférée.